La contralto et cheffe d’orchestre Nathalie Stutzmann au timbre grave est désormais cheffe invitée principale du très prestigieux orchestre de Philadelphie, aux États-Unis.
Parfois, à des années de distance, des événements s’enchaînent et se répondent, sans que ceux qui les vivent en prennent tout de suite conscience. Nathalie Stutzmann peut témoigner d’une semblable conjonction heureuse qui, aujourd’hui, trouve son accomplissement de l’autre côté de l’Atlantique, à Philadelphie. « J’ai grandi à l’écoute des enregistrements du Philadelphia Orchestra, sous la direction d’Eugene Ormandy, me délectant de sa magnifique sonorité, généreuse, opulente. Puis, adolescente, j’ai été frappée par un concert en “live” sous la baguette de Riccardo Muti, alors chef invité principal de la formation. (1) » Un poste que Nathalie Stutzmann occupe désormais, au côté du Québécois Yannick Nézet-Séguin, directeur musical de cet orchestre, l’un des « big five » (les cinq meilleurs) aux États-Unis. « Sans craindre l’exagération, je dirais volontiers que Yannick et moi sommes deux âmes sœurs, solidaires et complémentaires. »
La suite de l’histoire se déroule en 1997, lorsque la musicienne prête sa voix profonde de contralto à la Deuxième Symphonie de Gustav Mahler : « Simon Rattle en était le chef, lui qui est devenu plus tard mon mentor en direction d’orchestre », se souvient-elle. Un nouveau chapitre s’ouvre au cours des années 2010. Invitée depuis cinq saisons par le Philadelphia Orchestra, la cheffe s’est vu proposer une collaboration étroite : « Ils ont exprimé le désir de me voir désormais plus souvent : un rêve éveillé après une dizaine d’années de pratique du répertoire symphonique », confie celle qui, à l’automne 2021, fera en outre ses débuts au Metropolitan Opera de New York.
Portée par les riches accents de son timbre grave, Nathalie Stutzmann a mené une brillante carrière de chanteuse qui l’a conduite « avant tout à explorer le monde infini du lied germanique et, plus largement, de la musique romantique et post-romantique, allemande et russe en particulier, qui correspond à mon goût profond ».
C’est dans un second temps que, « fascinée par les pages merveilleuses que les compositeurs baroques ont offertes à la voix de contralto », elle a fondé en 2009 l’ensemble Orfeo 55. La musicienne le dirigeait tout en chantant Haendel ou Vivaldi, avec une liberté, un élan et une souplesse qui sont la signature des grands. Un récent enregistrement (2) marque les adieux de la formation, contrainte à baisser le rideau « faute de soutien et de subventions », indique sobrement le livret du CD.
À Philadelphie, la cheffe apprécie « la réactivité incroyable des instrumentistes. Vous bougez un doigt et ils répondent aussitôt. Si l’on y ajoute une mentalité positive, chaleureuse, accueillante et avide d’échanges, une telle opportunité ne pouvait se refuser ! ». D’autant que Nathalie Stutzmann retrouve « un son si beau qu’il vous paralyserait presque, tout à fait celui de mes émerveillements d’enfance, intact, flamboyant ». Et de louer, entre autres, la texture « crémeuse » des violons avec lesquels elle redécouvre Brahms, Wagner, Tchaïkovski ou Strauss, « partitions que j’adore et dans lesquelles nous nous sentons en correspondance quasi alchimique… »
Philadelphie, ville de culture
Entre concerts et répétitions, elle aime flâner dans les rues de la grande cité de Pennsylvanie – « hélas actuellement vidées et figées par la crise sanitaire » –, appréciant le saisissant contraste entre les immenses buildings et les maisons basses, les cafés, terrasses et boutiques à l’européenne. « Philadelphie vibre de culture et se montre fière de son orchestre, au-delà de ses qualités musicales. C’est l’une des institutions qui comptent dans la ville, admire Nathalie Stutzmann. Il assume en particulier un rôle éducatif et social majeur. » Et de citer le programme « make a wish » (fais un vœu) qui a permis à un enfant malade pratiquant le violoncelle de jouer au milieu de la formation symphonique, sur un instrument offert par un mécène. « J’ai su par la suite que la réalisation de ce rêve l’avait aidé dans son parcours médical », ajoute-t-elle avec émotion.
Fermé en raison du Covid-19, le Verizon Hall, installé dans le complexe culturel du Kimmel Center, ne peut accueillir le public du Philadelphia Orchestra. Un Digital Concert Hall propose cependant gratuitement des concerts en ligne, dont deux sous la direction de Nathalie Stutzmann. Après une année 2020 « cauchemardesque pour la musique », elle espère pouvoir participer l’été prochain aux deux festivals organisés par l’orchestre mais aussi retrouver les phalanges européennes qu’elle dirige régulièrement : en tant que cheffe principale au Symphonique de Kristiansand en Norvège mais aussi à Stockholm, en Irlande, en Allemagne… dont elle aime à comparer les personnalités musicales. Puissent les phalanges françaises prendre la mesure des avantages qu’elles auraient à inviter cette remarquable musicienne…
(1) Le chef italien devint ensuite le directeur musical du Philadelphia Orchestra.
(2) Contralto, un CD Erato, enregistré en 2019, date à laquelle Orfeo 55 a mis fin à ses activités.
Emmanuelle Giuliani